La montagne de l’âme

21 décembre 2009 par Daniel

GAO XINJIIANGCe titre a fait connaître son auteur après qu’il a reçu le Prix Nobel en 2000.

Gao Xinjiang résidait déjà en France depuis plus de dix ans, mais son œuvre n’était connue jusqu’alors que d’une poignée de lecteurs (c’est aussi un très bon peintre).

La Montagne de l’âme offre quelques parentés (et d’infinies différences) avec Chemins de poussière rouge : l’époque (le début des années 80), le voyage, et la distance avec la forme littéraire « roman ».

Gao raconte un voyage à travers la Chine, guidé par la recherche d’une mystérieuse montagne. S’agit-il d’un roman ? Le costume paraît étriqué pour ce qu’on serait tenté d’appeler un livre total parce que tout se mêle : histoire, introspection, remarques critiques sur la société contemporaine et sur la politique…

Pourquoi me suis-je senti envoûté par La Montagne de l’âme ? Le climat dans lequel on est pris me semble surtout dû à l’écriture très poétique et à un rapport au « moi » énigmatique (par exemple on est étonné par l’usage de pronoms personnels désignant les deux principaux protagonistes).

Une grande partie du livre se passant dans le Sud Ouest de la Chine ; dès lors comment ne pas le bloguifier dans notre site « Dong Miao » ? J’ai donc choisi pour le site deux chroniques miao : les bateaux-dragons et un appel à l’amour.

Mais avant de vous inviter à la fête, un petit flash météo qui m’est demandé à corps et à cri par notre administratrice blogueuse… 

Climat

Trois mille deux cents mètres d’altitude, trois mille quatre cents millilitres d’eau de pluie annuels (1), deux jours de beau temps par an, un vent hurlant qui souffle à plus de cent mètres à la seconde : le sommet des monts Wuling, aux confins des quatre provinces du Guizhou, Sichuan, Hubei et Hunan, est hostile et glacial. Je dois retourner parmi les hommes, retrouver le soleil et la chaleur, la joie, la foule, le tumulte ; quels que soient les tourments qu’ils me font endurer, ils sont le souffle vital de l’humanité. (…)

(1) même à Pau on n’atteint pas de telles liquidités. Il semble que les monts Wuling dans le Guizhou soient le Pau de chambre de la Chine.

Les bateaux dragons Les joutes nautiques placées sous le signe du dragon sont célébrées à travers tout l’antique pays des Yue, en Chine du Sud. Elles ont lieu le 24ème jour du 5ème mois lunaire, entre la fin de la saison sèche et le début de la saison des pluies, et ont pour origine l’invocation de l’eau, dont le dragon, habitant des fleuves et des nuées, est le maître. Les bateaux concurrents, propulsés par des rameurs, sont encouragés par les clameurs de la foule, le roulement des tambours et le tintamarre des gongs. Ces instruments, dont le son évoque le grondement du tonnerre, annonciateur des pluies d’orage, sont le souvenir du sens premier des ces festivités.

 En pays miao, une légende raconte l’origine de ces bateaux. En ce temps-là, le vieux Bao vivait avec son fils Jiu Bao. Un jour que celui-ci pêchait dans un étang, un dragon jaillit de l’eau et s’empara de lui. Bao, plongeant au secours de son fils, découvrit le dragon endormi, la tête posée sur le corps de Jui Bao. Fou de colère, il s’arma d’un poignard et d’un gourdin, et, après neuf jours de combat, découpa le dragon en trois morceaux, récupéra son fils et mit le feu à l’antre du monstre. Mais le dragon occis d’en vint tourmenter Bao en rêve chaque nuit. N’y tenant plus, l’homme le conjura de lui donner le remède qui l’apaiserait. Le dragon lui confia qu’il lui suffisait de tailler un bateau d’après sa forme, sa tête en guise de proue, sa queue en guise de poupe, pour que de nouveau il puisse aller sur les eaux.(Guide du Sud-Ouest – Yunnan, Guizhou, Guanxi – Guides Bleus. Hachette, 2007). 

BATEAU DRAGON 1

A deux heures du matin, je prends un train pour Kaili. A l’aube, j’arrive au chef-lieu de la région autonome miao. Je me renseigne sur la fête des bateaux–dragons qui doit se tenir à Shitong, un village miao. Un cadre du comité des minorités du département m’explique que la fête aura lieu cette année pour la première fois depuis dix ans. Y viendront plus de dix mille Miao, descendant parfois des plus lointains villages de montagne. (…)

A midi pile, notre colonne déferle sur le village miao construit au bord du fleuve Qingshui.quingshui Le soleil darde à la surface de l’eau ses rayons éblouissants. De chaque côté de la route, c’est un incessant défilé d’ombrelles colorées et de hautes coiffes en argent que portent les femmes miao. Sur la rue que longe le fleuve, se dresse un petit bâtiment en brique à un étage surmonté d’une terrasse, tout neuf : c’est le siège de l’administration cantonale. Le long de la berge, se succèdent les habitations en bois sur pilotis des Miao. De la terrasse du siège de l’administration, on aperçoit, sur chaque rive, la multitude des têtes des passants mêlées aux ombrelles colorées et aux chapeaux à larges bords luisant d’huile d’aleurite, circulant entre les petits étals installés sous les bâches blanches. Plusieurs dizaines de bateaux-dragons décorés de rubans rouges, la proue haut levée, glissent en silence sur le fleuve brillant et lisse. (…)

Les odeurs de tabac, de choux aigre, de transpiration, les émanations fétides des étals de poisson et de viande de porc ou de bœuf montent dans la chaleur. On vend de tout : des tissus et mille autres marchandises, toutes sortes de friandises comme les sucres d’orge, les cacahuètes, la gelée de soja, les graines de pastèque. L’animation est à son paroxysme : c’est une cacophonie de marchandages, de rires, de taquineries amoureuses, avec, en plus, le va-et-vient incessant des enfants à travers la foule.

 MIAOJe me faufile difficilement jusqu’à la berge, mais je suis continuellement bousculé et manque de tomber dans l’eau. Je ne trouve mon salut qu’en sautant sur un petit bateau amarré là. Devant moi, flotte un bateau-dragon creusé dans le tronc d’un arbre gigantesque. Pour assurer son équilibre, un autre tronc d’arbre a été fixé de chaque côté, au niveau de la ligne de flottaison. Une trentaine de matelots, tous vêtus de la même manière, y ont pris place, vêtus d’un pantalon court teint en un indigo brillant, fabriqué à partir d’os de buffles, et coiffés d’un petit chapeau finement tressé en bambou. Ils arborent des lunettes noires et, à la taille, une ceinture métallique étincelante.

Au centre du bateau est assis un jeune garçon déguisé en femme, avec sur la tête une parure en argent et une barrette de fille. Par moment il frappe un gong au son clair accroché devant lui. A la proue du bateau se dresse une figure de dragon en bois sculpté coloré, plus haute qu’un homme, couverte d’un tissu rouge piqué de petits drapeaux. Caquetant sans cesse, plusieurs dizaines d’oies et de canards vivants y sont accrochés.BATEAU DRAGON (2)

Des chapelets de pétards crépitent et on apporte les offrandes pour le sacrifice. A l’avant du bateau, un vieux frappe le tambour et fait signe aux jeunes gens de se lever. Un adulte prend dans ses bras une énorme jarre de vin de riz et, sans retrousser son pantalon, entre dans l’eau à mi-corps pour offrir un bol à chacun de ces matelots. Les jeunes gens à lunettes noires boivent de grandes lampées en chantant et en poussant des cris de remerciement, puis, de la main, répandent dans le fleuve le vin qui reste au fond du bol.

Un homme âgé, aidé par un autre, entre ensuite dans l’eau, portant un cochon vivant, les pattes attachées, qui lance des hurlements stridents. L’animation est à son comble. Enfin l’énorme jarre et le cochon sont déposés sur un bateau porte-offrandes qui suit le bateau-dragon.

 DRAGON

 Quand je remonte sur la terrasse du bâtiment sur pilotis, il est presque cinq heures. Sur le fleuve, les roulements des tambours se succèdent, tantôt forts, tantôt doux, sur un rythme tantôt rapide, tantôt lent. Les trente bateaux-dragons continuent à évoluer chacun de son côté, sans donner l’impression qu’ils vont commencer la compétition. Certains ont l’air de vouloir se rejoindre, mais aussitôt, rapides comme des flèches, ils se séparent. (…) 

 

YI GONG FU

Les commentaires sont fermés.